Effectivement, dans "La colonne brisée", le corps est recouvert de clous, un corset serre le buste, une colonne coupe le corps en deux, des larmes coulent le long du visage. Le
paysage derrière le personnage est vu comme un désert brisé par des grandes crevasses sous un ciel sombre. Chaque clou perçant le corps est vu comme autant de points de douleur.
Pourtant si nous analysons attentivement le tableau "La colonne brisé" nous pouvons avoir une toute autre lecture.
Frida Kahlo et la Résilience
Observons premièrement le corps. Il est coupé en deux par une grande colonne, mais cette brisure ne le détruit pas. La chair est ferme, luisante, les muscles sont tendus, la poitrine
respire la vie. Les courbes du corps sont d'une beauté parfaite. La colonne qui traverse le corps est cassée, mais elle se tient droite, elle ne s'effondre pas malgré les fissures.
La tête est fermement posée sur la colonne.
Le corps est serré dans un corset, mais celui-ci a tous les fermoirs bien peints, bien visibles, crochet par crochet, et le tout est si tendu qu'on peut supposer qu'ils se
décrocheront tout seuls.
Le corps est parsemé de clous. On en compte 56. Dans les analyses il est supposé qu'ils marquent tous les points ou l'artiste ressentait la douleur. Mais pourquoi précisément 56
? Sa jambe droite avait subi plusieurs fractures, onze au total. 5+6 = 11. Les clous pourraient aussi être interprétés comme la réparation de ces fractures.
Les clous servent à réparer. Si nous nous référons à la vie de l'artiste, à ses penchants politiques et relations intellectuelles, le parallèle avec les souffrances christiques
semble peu probable. Dans la vision de Frida il serait plus logique de les interpréter dans le sens de réparation que dans le sens de souffrance.
D'ailleurs les clous se trouvent aussi sur la toile qui recouvre le bas du corps. Les bras sont placés de telle façon qu'on peut les voir secouer le tissu et faire tomber les clous
devenus inutiles.
Des larmes coulent sur le visage de Frida. Mais, le visage reste imperturbable, les yeux nous regardent, d'un regard fixe, mais plein de lumière.
Observons le paysage derrière le personnage. Le ciel que les interprètes voient sombre est tout simplement bleu et, du côté vers lequel le visage est tourné, le ciel
est plus clair. La ligne de l'horizon est droite et nette. On aperçoit une frange étroite entre le ciel et le paysage, la mer peut être. Le paysage fracturé, malgré ces
grandes crevasses, donne l'impression de bouger, comme si ces crevasses se transformaient en vagues. Les mouvements de terre en forme de vagues l'insinuent. Cette terre
n'est pas stérile comme on l'indique souvent en faisant allusion à l'impossibilité de Frida d'avoir des enfants. L'interprétation est erronée car l'artiste n'a pas été stérile.
La terre derrière Frida est fissurée, mais verte, verte comme l'espoir. Frida aurait pu la peindre en ocre ou en gris. Non, elle est verte.
Si nous comparons cette peinture à la vie de Frida Kahlo, une vie malgré toutes les douleurs, très active, pleine de vie. Les voyages, la participation à des mouvements politiques,
littéraires et artistiques. De très nombreuses relations amicales et amoureuses. Pour sa première exposition de peinture à Mexico, elle est à l'hôpital. Qu'à cela ne
tienne, elle est transportée à l 'exposition avec le lit et elle assiste au vernissage.
"La colonne brisée" n'est pas une plainte non plus. En voyant les portraits de Frida Kahlo, où elle apparaît dans toute sa splendeur et sa beauté, toujours très somptueusement
vêtue et décorée, il n y a pas de place pour l'auto-apitoiement.
On peut difficilement imaginer Frida Kahlo se représenter en souffrance, comme une martyre chrétienne. Elle se représente en résiliente.
Elle le dit : Je ne suis pas malade. Je suis brisée. Mais je me sens heureuse de continuer à vivre, tant qu’il me sera possible de peindre".
Les derniers mots de Frida avant de mourir le prouvent : "Viva la vida" ! (Vive la vie).
D'ailleurs, la peinture est l'expression même de la vie.
Ksenia Milicevic