La peinture est une connaissance du monde.
Francisco de Goya
Dans la nature et dans l’œuvre d’art, ce qu’il y a d’implicite, c’est la vie même. La vitalité qui se déploie, c’est elle qui engendre la sensation du beau. L’homme ne perçoit pas dans le beau, que ce soit l’œuvre d’art ou la "belle nature" (Kant), une quelconque "idée esthétique" mais le déploiement de cette vitalité. Dans son expression du vivant, l’art n’est assujetti à aucun intérêt, à aucun concept, et ne représente aucune fin. Comme la nature, il est le vivant. Il se déploie comme celle-ci, parallèlement sans la copier, sans l’imiter. Il est de même nature que la nature. Celle-ci n’est pas son modèle.
Pourtant, on pourrait objecter que c’est l’homme qui génère les œuvres d’art. Oui, il les génère comme la cellule génère du vivant. Cette gestation du vivant dans l’œuvre de l’homme se traduit par l’intégration des forces de la nature dans l’élaboration de l’œuvre.
Lorsque le vent souffle – fort, et se trouve face à un obstacle, il "cherchera" la solution la plus adéquate pour le contourner ou si non, le casser si sa force dépasse celle de l’opposition que présente l’obstacle à son passage.
Un corbeau pour casser une noix dont il est friand cherchera le sol le plus solide à proximité et calculera la hauteur à laquelle il doit la jeter au sol pour la casser, quitte à choisir une route et attendre le feu rouge, s’il est en ville, qui arrêtera le flux des voitures pour le faire sans danger.
Un homme pour clouer un clou dans une surface dure choisira la position de ses bras, de ses jambes, l’inclinaison du torse, la direction du regard, les plus adéquates en fonction du clou pour effectuer cette action.
Dans les trois cas, l’action s’inscrit dans une série de forces de la nature, invisibles à notre œil, mais bien présentes, selon lesquelles tout s’organise et que nous apprenons à connaître par expérience, sans les voir. C’est cette trame de forces que le peintre ou le sculpteur structure dans son oeuvre et nous donne à voir. C’est la représentation de ces forces qui organise harmonieusement l’oeuvre en une composition équilibrée de lignes, formes, couleurs, en correspondance avec la nature. L’art fait apparaître la nature dans sa vitalité et face à notre vision partielle du monde nous l’offre en son ensemble et son unité.
Chaque artiste ajoutera ce qui lui est particulier, ce qui le rend singulier. Sur ce noyau de l’oeuvre, viendront s’ajouter des images liées au style, manière, école, des variations à l’infini mais la structure de ce fond est immuable. C’est cette structure qui par sa cohérence, sa logique et son harmonie engendrera en nous la sensation du beau.
Il ne s’agit pas comme pour Schelling de retrouver la force créatrice, « l’esprit de la nature », et dépassant la nature réelle, de remonter à la nature naturant, à « L’Être véritable ». Il s’agit seulement d’épouser fortement ces forces structurantes de la réalité dans l’oeuvre d’art. Dans l’art, le monde se présente à nous en sa complétude. C’est le beau qui assure cette vision de globalité car « la beauté réside dans la juste proportion des parties et l’harmonie du tout » (Pythagore).